Olga Perets

« Under the roots »

« Sous les racines des arbres est un univers fantomatique, impossible à situer avec précision. Ni passé ni présent, c’est un lieu intemporel, désert, fait de terre et d’eau souterraine. C’est un royaume de l’invisible : à la fois une nécropole et un lieu de gestation de nouvelles graines.

Les quatre éléments sont tour à tour sollicités pour évoquer ce lieu, sans pour autant le pétrifier. Êtres vivants ou objets inanimés, tantôt poreux, mous ou friables, tantôt volatiles et aériens – pourvu qu’ils puissent traduire cet état d’entre-deux, où l’angoisse de la nuit n’est jamais loin de la lumière du matin. »

Née en Ukraine, Olga Perets vient en France dans le cadre de la selection internationale de l’Ecole Normale Supérieure de Paris en 2004. Après des études de littérature et d’histoire de l’art, elle décide de se consacrer à la photographie et intègre en 2009 l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, dont elle sort diplômée en juin 2012 avec les félicitations du jury.

Elle a participé à plusieurs expositions dont les WIP 2011 et 2012, ainsi qu’à l’exposition des diplômés 2012 de l’ENSP aux Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles. C’est lors de cette exposition que le prix « Alexandra Carle » du Rotary Club lui est attribué pour une image de la série « Battements », réalisée en Ukraine.

Elle réside actuellement en France tout en continuant ses explorations de l’Europe de l’Est post-soviétique. Une résidence artistique en Arménie en constitue l’étape la plus récente.

Olga Perets a donné une conférence et présenté son exposition le 4 avril 2015 à Grandris. olga-perets.com 


Entretien avec Olga Perets réalisé à l’occasion de son exposition. 

– Qu’est-ce qui vous a poussée à devenir photographe ?

J’ai été fascinée par l’image depuis mon enfance. Quand j’avais treize ans, un éblouissement causé par le film d’Andrei Tarkovsky Andrei Roublev m’a fait rêver à une carrière cinématographique, ce qui, pour diverses raisons, était entièrement impossible. Je me suis donc tournée vers la littérature et les langues étrangères, mon autre centre d’intérêt de l’époque. Mais une fois arrivée en France, nourrie par des séminaires sur le cinéma et l’histoire de l’art à l’Ecole normale supérieure et par la vie culturelle parisienne, ma vocation artistique a enfin retrouvé un terrain et un climat favorable pour éclore et s’affermir.

– Que recherchez vous dans le médium photographique ? 

La photographie c’est le moyen d’expression qui me convient le plus, car il permet une mobilité, une flexibilité et une indépendance que le cinéma ne permettrait pas. Pour les mêmes raisons, je n’utilise d’habitude que très peu de matériel, presque jamais de pied ni d’éclairage artificiel, pour pouvoir me déplacer rapidement et sans encombre n’importe où. J’aime également le medium de la photographie pour son pouvoir suggestif, sa capacité à raconter toute une histoire à l’aide d’une seule et unique image. Mais, paradoxalement, je l’aime aussi pour la liberté qu’il donne d’échapper au narratif, c’est à dire de pouvoir transmettre une émotion, un état d’âme, sans nécessairement passer par un récit, comme en littérature on choisit d’écrire un poème plutôt qu’un roman.  D’habitude, je travaille par séries, où les images ne sont pas unies entre elles par des liens de cause à effet, mais par une communauté d’esprit, un peu comme sont unis entre eux des poèmes appartenant à un même cycle.

– Avec quel matériel travaillez-vous ?

Je travaille en argentique et en numérique. D’habitude, j’utilise l’argentique pour le noir et blanc, et le numérique pour la couleur. Ainsi, mes fidèles Leica et Nikon m’accompagnent dans tous mes déplacements. Je développe, scanne et imprime moi-même mes tirages.

– Vous avez étudié à l’Ecole nationale supérieure de la Photographie d’Arles, seule école entièrement consacrée à la photographie en France. Que vous a-t-elle apporté ? 

Cette Ecole m’a avant tout apporté une certaine légitimité en tant qu’artiste, et tout d’abord à mes propres yeux. J’ai enfin pu me permettre de travailler sur mes photographies tous les jours, du matin au soir, sans avoir mauvaise conscience. Arles étant une très petite ville, avec des possibilités limitées de distraction, ma vie pendant mes trois ans d’études était entièrement centrée sur la photographie et le travail dans les laboratoires de l’Ecole. J’ai eu de la chance d’être bien épaulée par mes professeurs, qui sont toujours restés à l’écoute et m’ont souvent aidée à combattre mes doutes. Rétrospectivement, je peux dire que c’était une période très dense et assez difficile, qui m’a beaucoup changée, mais qui m’a confirmée dans ma vocation et s’est terminée d’une façon plutôt réussie, avec le diplôme, les félicitations du jury, et même un prix du Rotary Club pour une de mes images.

Qu’est ce qui vous touche ou vous attire le plus ? Quels sont les grands noms d’artistes qui marquent votre chemin ?

Il m’est très difficile de déterminer d’une façon précise ce qui me touche. Cela peut être une silhouette, un arbre, un mur, une lumière… quelque chose qui puisse trouver son écho dans la cartographie de mon univers intérieur. Je puise dans la réalité des matériaux pour figurer les plis et replis de mon monde invisible. Je pourrais dire que mes images sont presque toutes autobiographiques, car chacune est une recherche des équivalences entre le monde extérieur et mon paysage intérieur.

Parmi mes principales sources d’inspiration je citerai à nouveau Tarkovsky, ses films, bien sûr, mais aussi ses polaroids ; Kieslowski, dont j’aime toute l’œuvre, mais où les films du Décalogue ainsi que les premiers courts-métrages en noir et blanc tiennent une place particulière ; Bergman pour sa luxueuse lumière et l’épanouissement de la couleur ; Bresson, pour la sobriété et la concision tranchante de ses films. Parmi les photographes, j’aime beaucoup les séries familiales d’Emmett Gowin, l’ingéniosité des compositions dans les autoportraits de Vivian Maier, ou, dans un tout autre genre, la matière dense, riche, presque palpable des photographies de Jacob Aue Sobol, ou encore les noirs viscéraux éclatants de Anders Petersen. Je ne peux pas dire, en revanche, que je me sente toujours proche de ces artistes photographiquement ou même spirituellement, mais j’admire beaucoup leur travail. Quant à la littérature, c’est avant tout la poésie russe et ukrainienne qui constituent ma source principale d’inspiration : Tsvetaeva, Brodsky, Vingranovsky…

– Quelle est la spécificité de la série « Sous les racines des arbres  », présentée à Longeval ?

« Under the roots » est une série qui a été commencée en 2012 et qui n’a pas cessé d’évoluer depuis : certaines images, nouvelles ou puisées dans mes archives, se rajoutent, d’autres s’en vont, au fur et à mesure que la ligne directrice se modifie. La série est essentiellement constituée par des photos que j’ai prises à Paris, auxquelles se joignent quelques unes provenant d’Italie et  d’Ukraine. La particularité de cette série est que ces images, quelles que soient leurs provenances, sont difficiles à situer, dépourvues de tout côté spectaculaire ou narratif. Telles des métaphores poétiques, elles sont davantage appelées à évoquer une atmosphère de tristesse latente, aussi prégnante qu’inexplicable, que je ressentais très fortement à l’époque de la conception de cette série et que je retrouve encore parfois en moi.

– Pourquoi avoir choisi de présenter cette série ?

J’ai beaucoup travaillé en couleur et en numérique ces dernières années. Il y a quelques mois, j’ai effectué une résidence artistique en Arménie, où j’ai travaillé sur les structures architecturales et d’autres réminiscences du monde soviétique dans cette ancienne république de l’URSS.

Ce travail constituait une suite de celui que j’avais commencé en Ukraine en 2009, et qui avait donné les séries « Battements » et « Swimming is forbidden ». Pour l’exposition à Longeval j’ai eu envie de revenir vers l’argentique et le noir et blanc. Ce sera aussi pour moi l’occasion de voir la série « Under the roots » prendre réellement corps dans cette exposition où elle sera accrochée pour la première fois.

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